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Le portrait du mois : Bernard Kuentz, grand maître de la Maison de l'Alsace

31 mars 2010

Il est le maître de maison, de cette maison singulière sur les Champs-Elysées, bel immeuble haussmanien, qui se dresse à l'angle de la rue Marbeuf acquise fin des années 60 par les deux départements alsaciens pour en faire la Maison de l'Alsace, autrement dit un bureau de promotion du tourisme et un centre d'affaires.

Portrait réalisé par Françoise Elkouby

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Bernard KuentzEt depuis sa prise de fonction en 2005, Bernard Kuentz a fait de cette entité, présidée par Jean-Daniel Zeter, une véritable tête de réseaux sociaux, un passage obligé, un trait d'union entre la capitale et l'Alsace. Son objectif: rénover la Maison et se mettre au service de l'Alsace. Il y consacre tous ses efforts, son enthousiasme démesuré, mu par une passion pour sa région natale et une volonté sans borne d'apporter à l'Alsace de nouveaux contacts, de nouveaux projets, de nouveaux visiteurs, en somme de nouvelles sources de prospérité et de reconnaissance.

J'ai rencontré Bernard Kuentz, un jour où Paris était sous la neige, les Champs-Elysées et la Maison de l'Alsace ornés de leurs plus beaux atours de Noël. Cet homme chaleureux parle sans détour, avec une pointe d'accent d'Alsace du Sud. Il est né il y a 53 ans en Alsace, mais, ne me dévoile pas son lieu de naissance et me répond très diplomatiquement : " je suis alsacien de naissance". J'avais simplement oublié que nous étions à la Maison de l'Alsace. "Une fois la ligne bleue des Vosges franchie, on se sent Alsacien et non plus haut-rhinois ou bas-rhinois. Faire la distinction entre 67 et 68 est totalement tabou ici et c'est génial," me précise-t-il.

Un parcours de slalomeur. "J'ai suivi un genre de slalom spécial entre métiers et fonctions, du secteur public au privé et vice versa, et je constate que toutes ces expériences diverses et variées m'aident aujourd'hui à accomplir ma tâche à la Maison de l'Alsace," m'explique Bernard Kuentz en propos liminaires.

Formé à l'Ecole hôtelière de Strasbourg en gestion de l'hôtellerie-restauration, et après plusieurs années dans ce secteur, virage vers le secteur public: il entre au service de l'aménagement et du développement touristique au Conseil Général du Haut-Rhin, en charge de l'hôtellerie. Puis, nouveau virage vers le privé, Bernard Kuentz est embauché par une entreprise de promotion immobilière qui, malheureusement, subit les effets d'une crise. Il positive toutefois l'évènement: "J'ai découvert ce qu'est la chute d'une belle entreprise; j'ai pu me former au travail en équipe avec les architectes et techniciens du bâtiment, ainsi qu'au montage de projets." Et en 1991, il part pour une nouvelle aventure. S'associant à son mentor à l'École hôtelière Maurice Roeckel, Bernard Kuentz crée à Strasbourg le cabinet de consulting "Charte Conseil", dédié à l'hôtellerie-restauration et au tourisme. "Je n'ai pas voulu être un consultant international mais travailler à l'échelle régionale du Grand-Est. Je préférais connaître parfaitement le terrain dans lequel j'opérais afin d'être le plus pertinent." Durant 14 ans, il a été consultant en Alsace et Franche-Comté. Enfin en 2005, la Maison de l'Alsace lui confie le gouvernail.

La Maison de l'Alsace dans sa magnifique parure de NoëlTransformer la Maison de l'Alsace est votre objectif majeur ? Au moment où j'évoque l'idée de créer et transformer, Bernard Kuentz ne mâche pas ses mots : "C'est aujourd'hui une vieille maison obsolète, qui n'a pas connu de travaux depuis 1988 et qui mérite aujourd'hui davantage qu'un simple coup de peinture. Considérant qu'elle représente l'image de notre région dans la capitale, celle-ci est négative et ringarde. Il y a nécessité absolue de transformer cette maison malgré les difficultés et les atermoiements. Il faut y aller vite et bien, si l'on veut conserver une vitrine physique et ouverte sur les Champs-Elysées et y mettre les moyens."

Le potentiel est énorme. Les chiffres sont parlants :

  • 300 000 personnes par jour passent sur cette prestigieuse avenue
  • 400 000 clients par an au restaurant "L'Alsace" situé au rez de chaussée de notre immeuble
  • 50 000 visiteurs par an à la Maison de l'Alsace
  • 1 million de visiteurs par an chez Renault, notre voisin

"Notre vitrine ne fait que 2 mètres 50 linéaires sur les Champs, le reste de la façade est occupé par le restaurant. Mais, le projet de rénovation prévoit d'élargir l'ouverture --un accord a été passé avec le restaurateur-- et d'en faire un lieu plus attractif. La promotion touristique sera maintenue mais d'une autre façon. Fini, le comptoir et les dépliants. Nous sommes à présent dans l'ère du zéro papier et nous comptons adapter notre outil à ces nouvelles pratiques."

Avec le TGV, l'image de l'Alsace a pris un vrai coup de jeune ? J'ai eu la chance de connaitre la période d'avant et après la mise en service du TGV. Fort dubitatif sur l'impact du TGV sur le public parisien --je l'avoue-- la remarquable campagne de communication de la SNCF, lors du lancement de la nouvelle ligne, a eu un impact formidable sur l'image de notre région auprès du public parisien. L'image a été vraiment dépoussiérée et a pris un vrai coup de jeune. Je constate que depuis lors les Parisiens parlent positivement de l'Alsace. Ils y sont venus nombreux grâce aux tarifs promotionnels et au produit phare que constituent les marchés de Noël en Alsace. En somme, ils en parlent autrement et c'est une vraie valeur ajoutée.

Paris est-elle l'étape nécessaire pour jouer la carte internationale de la région ? Pendant une longue période, l'Alsace et Paris vivait un désamour, dû à une méfiance réciproque. L'Alsace était perçue comme une région "exotique" où l'on parle une langue germanique. La stratégie de développement se situait dans le cadre d'un territoire européen dénommé alors " la banane bleue" qui s'étendait de Milan à Londres, excluant la capitale française. Aujourd'hui, on reconnait que le lien entre la capitale et l'Alsace est nécessaire pour créer du développement économique en région et que la Maison de l'Alsace doit pouvoir assumer ce rôle de trait d'union entre Paris et l'Alsace. A mon sens, une région ne peut affirmer sa vocation internationale, si elle ne sait pas s'allier à sa capitale. Rien ne sert de vouloir travailler avec Shanghaï ou Los Angeles, si on ne sait pas travailler avec Paris. En somme, Paris est la rampe de lancement, l'étape nécessaire pour jouer la carte internationale de la région. Par ailleurs, pour différentes raisons, certains sièges sociaux ont quitté l'Alsace pour s'implanter à Paris. Aussi, sommes-nous devenus un peu la tête de pont de clubs d'investisseurs et de patrons que nous réunissons régulièrement afin de mieux se connaître et d'échanger des informations.

Pouvez-vous citer quelques projets qui ont germé ici ? Le projet emblématique est celui du grand pâtissier-chocolatier Pierre Hermé désireux d'implanter un atelier de production en Ile de France. Après lui avoir vanté les atouts (les capacités d'accueil et les qualités de la main d'oeuvre) de sa région natale, il a opté pour une implantation dans la région de Colmar, opérationnelle en 2009. Je peux également faire état d'un projet d'un fabricant de batteries actuellement en pourparlers avec les décideurs en Alsace. Mon rôle principal est la mise en relation avec la personne idoine susceptible d'accompagner le projet et de le mener à bien. Un projet en Alsace par semestre me paraitrait un bon score d'efficacité de notre action dans ce domaine. Et pour optimiser cette stratégie de développement, j'envisage la création d'une base de lobbying pour l'Alsace. Certes, c'est fort coûteux, mais lorsqu'il y a des résultats, tout le monde, les politiques les premiers, en recueillent les fruits. Toutefois, les décideurs alsaciens ne sont pas encore mûrs pour déléguer de telles missions et d'en payer le prix; il faudra encore quelques années pour celà.

En compagnie de la créatrice Estelle YomedaBernard Kuentz fait du lobbying

Vous avez aussi monté le réseau culturel "Talents d'Alsace". D'emblée, il prévient : "la Maison de l'Alsace ne sera jamais une galerie d'art, elle n'en a ni les moyens, ni les compétences à le devenir. Au départ, on a cherché à réunir des artistes qui essayent d'évoluer à Paris et qui se souviennent qu'ils sont originaires d'Alsace. A présent, ils se connaissent, se rencontrent et montent des projets. D'autres viennent spontanément élargir le groupe. Il y a ceux qui sont méconnus en Alsace et renommés à Paris et à l'international comme Christian Biecher, architecte-designer que nous avons aidé à se faire connaitre en Alsace et qui va concevoir l'habillage extérieur des magasins du Printemps à Strasbourg. Nous avons demandé à des artistes alsaciens de Paris, pour l'habillage du chantier de la Maison; leur sensibilité pour la région est un plus dans la conception des visuels. Nous avons aussi mis en relation un parolier et une chanteuse, un réalisateur cinéma et des comédiens. En somme, nous agissons une fois de plus en tête de réseau pour que ces jeunes artistes puissent également être reconnus dans leur région d'origine.

La bulle de verre sur le toit offre une vue imprenableVous vous impliquez à fond dans votre mission ? J'ai la chance inouïe de m'appuyer sur des réseaux d'Alsaciens qui aiment se rencontrer autour d'une choucroute et parler de leur région. Ce sont différents réseaux de secteurs d'activité variés. Pour ma part, je suis dans l'ascenseur et joue le liftier entre les différents réseaux verticaux et horizontaux, grâce au TGV qui fait le lien entre Paris et Alsace. C'est génial et je m'implique à fond. Ce rôle m'ouvre de nouveaux horizons. La Maison de l'Alsace n'est pas un vase clos, elle est ouverte vers la ville et les Parisiens. Une fonction nouvelle s'est développée autour de la Maison. La question d'aujourd'hui est de bien placer le curseur entre rencontres virtuelles sur le web 2.0 et rencontres physiques. La Maison de l'Alsace sera le point de rencontres, le lieu d'événements dans la salle prévue à l'étage supérieure, qui sera dotée d'une magnifique verrière et d'une vue imprenable. De tels lieux mariant le virtuel et le réel sont nécessaires, à l'instar du Windows Café, ou de l'Apple Store.

Peut-on parler de la Maison de l'Alsace comme d'une ambassade à Paris ? Je réfute le terme d'ambassade. Je vis dans la capitale de mon pays et l'Alsace appartient totalement à la France. Je n'exerce pas une fonction diplomatique, et n'ai pas les qualités d'un ambassadeur...Je manque de diplomatie et de rondeur. Trait d'union convient bien comme définition de la Maison de l'Alsace, dont la mission est de créer des liens entre Paris et l'Alsace et activer les échanges bidirectionnels.

Comment définissez-vous un bon ambassadeur d'Alsace ? C'est, à mon sens, une personne qui garde en tête sa région natale et peut l'aider dans la mesure de ses moyens en termes d'image et de développement. Il peut fournir des informations, rassembler des personnes autour d'un projet etc.. Certains, très naturellement dans leur cadre professionnel, font jouer leurs contacts pour la promotion de l'Alsace, suggérer l'Alsace plutôt qu'une autre région pour un projet.

Bugatti fête son centenaire avec la Maison de l'Alsace sur les Champs !Quelles sont les forces et faiblesses de l'Alsace ? Les forces sont, en tout premier lieu, ses valeurs: rigueur, travail, respect de la parole, que je résumerais en un seul mot: professionnalisme. Mais, c'est un peu rabat-joie et peu attractif. Je l'associe à la convivialité, l'amour des bonnes choses, qui font de l'Alsace une région accueillante, sympa, ludique. Je fonde d'ailleurs le projet de la Maison de l'Alsace sur ces deux points forts. Je citerais aussi l'exotisme Mitteleuropa de l'Alsace et enfin sa prospérité qu'il faut faire fructifier. Ses faiblesses : je pense à son côté dispersé et sa propension à l'autocritique à la manière du Hans im Schnokeloch.

Et il conclut en ces termes : L'Alsace n'aime pas être bousculée, être énervée, elle doit être maniée avec précaution. Je suis devenu philosophe. Si je secouais tous les cocotiers en même temps je n'aurais rien gagné et ce ne serait pas positif. Il faut se donner le temps. J'ai réalisé que je suis parfois allé trop loin et, à présent, j'ai compris qu'il faut ménager des temps de latence. Il faut respecter sa temporalité.

 

Portait chinois : Si l'Alsace était...

  • Un objet : un paquebot car les équipage ne sont pas en ordre de marche : gouvernail, moteur, destination
  • Un moment : le printemps à Thannenkirch avec ses cerisiers en fleurs et un bel avenir
  • Une personne : une jolie femme que l'on a du mal à séduire
  • Un lieu : une île de France avec ses problèmes d'insularité
  • Une musique : un morceau de musique classique
  • Un animal : une cigogne
  • Une oeuvre d'art : une belle mosaïque
  • Une couleur : le vert


Le 1er mai 2010 : découvrez le portrait de Nathalie Roos, une femme d'exception aux manettes de Mars Europe.


Lire les portraits réalisés par Françoise Elkouby :

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